Valérie Cudkowicz

Le 21 novembre 2023 s’est déroulée à Yad Vashem une réunion du groupe de paroles de Jérusalem de l’association Aloumim. C’était la première fois que les enfants cachés se réunissaient à nouveau après les massacres du 7 octobre et le début de la guerre Glaives de Fer. Le groupe de paroles mis en place dès la création de l’association, permet à chacun de parler librement, d’exprimer ses souvenirs et de partager ses ressentis sur le passé, le présent et l’avenir. Pour beaucoup de membres d’Aloumim, il représente un moment de partage, une occasion de sortir de sa solitude, un endroit où l’on peut parler librement, sachant que l’on sera écouté et compris.

« Nous, enfants cachés, au cœur de la guerre … comment fait-on face ? »

Ce jour-là, un peu plus d’une vingtaine de personnes, sous la houlette de Suzy Sprecher, étaient réunies dans une des salles de classe de l’école de Yad Vashem. Le thème de la réunion était : « Nous, enfants cachés, au cœur de la guerre … comment fait-on face ? » La parole a été donnée à chacun pour qu’il s’exprime sur son ressenti face à la situation.

Une situation très difficile à vivre

Chacun des présents a exprimé avec ses mots l’horreur de la situation. Et pour tous, les massacres du 7 octobre et l’état de guerre vécu depuis ont fait remonter des souvenirs, des émotions qu’ils croyaient mieux enfouis ou même surmontés depuis longtemps. Pour les plus jeunes, nés au début des années 1940 et qui n’ont pas forcément des images très nettes de cette période, ce sont plus des sentiments qui ont refait surface : l’abandon, la peur, la solitude, l’insécurité, l’impuissance. Une participante fait part des cauchemars qu’elle a depuis plusieurs semaines

“ Je revis des événements.”

Une autre parle du hurlement qu’elle a poussé quand elle a compris ce qui se passait “ Ça peut se reproduire ? Non, pas en Israël..”

Une participante raconte que la vue des familles du sud et du nord d’Israël déplacées dans les hôtels lui rappelait ses souvenirs d’après-guerre

quand sa mère travaillait dans un hôtel dans lequel passaient des personnes en transit après la Shoah. Un enfant caché, né en 1942, raconte le premier souvenir qu’il a et qui lui est remonté lors des derniers événements “ C’était en septembre 1944 – il avait alors environ deux ans – , il y a eu un bombardement, je me revois emballé dans une couverture dans une cave.”

Parce qu’ils ont été enfants cachés, ils se sentent particulièrement concernés par le sort des enfants otages. Les sentiments de solitude et d’abandon, que ces derniers

doivent ressentir à Gaza, les ont tous à un moment ou un autre accompagnés. “ Ce que vivent les otages, nous l’avons ressenti.” En effet si certains étaient cachés par des Justes admirables qui les ont traités comme leurs propres enfants, d’autres n’ont pas vécu la même chose et ce sont retrouvé gardés par des gens qui les exploitaient.

Face à ces souvenirs, le plus souvent douloureux, chacun trouve une façon de résister à la peur et à la colère pour aller de l’avant. Bien sûr, certains sont encore sous le choc et cela les paralyse. Ils évoquent des moments de déprime profonde, une impossibilité de faire quoi que ce soit.

D’autres expriment avoir trouvé une parade dans l’action. Le bénévolat en aide beaucoup, que ce soit avec l’organisme SAREL dans des bases de l’armée ou la préparation de sandwiches pour les soldats, dont leurs propres petits-fils, l’action permet d’occuper l’esprit et de moins ressasser ses souvenirs.

Une grande colère

Le sentiment qui se dégage face aux événements est la colère. Une grande colère face aux massacres du 7 octobre. Mais aussi et surtout une grande colère face au reste du monde qui ne réagit pas comme la plupart l’auraient espéré. Pour certains, les discours que l’on entend aujourd’hui sont les mêmes que ceux entendus durant la Shoah : “Le monde entier est contre nous…  » « Le sang juif ne vaut rien”. “Tu ne peux faire confiance à personne». Voilà ce qu’avaient dit leurs parents à l’époque de la Shoah Le silence des organismes internationaux est aussi évoqué et notamment celui de la Croix Rouge. Personne ne semble s’étonner de cela puisque comme le rappelle un participant, des représentants de la Croix Rouge ont visité Terezin et même Auschwitz sans rien y voir à redire….

Oui MAIS…

Chacun dans l’assemblée s’accorde à dire que les événements qui se déroulent alors en Israël, ne sont pas une répétition de la Shoah. Il y a évidemment des similitudes et des liens entre les doctrines nazies et celles du Hamas. Pas de doute là-dessus. Mais aujourd’hui les Juifs ont un pays, Israël et une armée. Et cela change tout.

Certains expriment le fait que grâce à Israël, les Juifs ici ne sont plus des victimes. “ Quand j’étais petit, je me suis fait traiter de sale juif par des enfants catholiques. Maintenant je vis en Israël et personne ne me traite de sale juif.” Par contre la situation des Juifs en dehors d’Israël et notamment en France, en inquiète plus d’un. Plusieurs proclament que malgré la guerre, ils se sentent plus en sécurité en Israël qu’en France.

Ce qui donne de la force aux participants est la solidarité qui se manifeste partout dans le pays. Certains, arrivés depuis plus longtemps que les autres, admettent qu’un tel mouvement ne s’était pas vu dans les précédentes guerres israéliennes. La situation depuis le 7 octobre est très spéciale. Tout le peuple aide. L’arrière, les civils, est fortement lié avec le front, les soldats.

“ Nos jeunes soldats sont les Justes d’aujourd’hui. ”

D’ailleurs une intervenante raconte qu’elle a été très émue par l’histoire des soldats israéliens supervisant le déplacement des populations gazaouies vers le Sud et qui criaient en hébreu et en anglais pour vérifier que des otages ne se cachaient pas dans la foule et pour les amener, le cas échéant, à se manifester. “ Nos jeunes soldats sont les Justes d’aujourd’hui.” A ce propos, un intervenant insiste pour rappeler que de nombreux musulmans ont été nommés Justes après la Shoah. Pour plusieurs participants, cette guerre est un tournant dans l’histoire d’Israël.

“ Nous représentons une voix. Nous devons et pouvons agir. ”

Les dernières interventions tournent autour du rôle d’Aloumim dans l’actualité. “ Nous représentons une voix. Nous devons et pouvons agir.“ Aloumim a déjà publié une lettre à la Croix Rouge à l’occasion de la Journée Mondiale de l’Enfance et continuera à faire entendre sa voix. La réunion se termine sur la réaffirmation qu’Aloumim est présent pour soutenir tous ses membres qui en ont besoin et encore plus en ces temps difficiles.

Des groupes de parole se réunissent le premier mardi du mois à Jérusalem et le deuxième mardi du mois à Tel Aviv. Les informations les concernant – lieu, horaire, etc… – sont envoyées par mail aux membres d’Aloumim et publiées sur la page Facebook.

Valérie Cudkowicz