Ma mère a été arrêtée le 16 juin 1942, un mois avant la grande rafle du Vel’ d’Hiv’.
Et, c’est étrange à dire, c’est sans doute ce qui m’a sauvé la vie.
Car le 16 juillet, la police n’a trouvé qu’un appartement vide…

Mais moi, petite fille de neuf ans et demi, j’avais déjà fait connaissance avec la police au mois de mai.
Nous habitions dans le 12ème arrondissement, un grand immeuble qui abritait beaucoup de familles juives.
J’allais à l’école du quartier, ainsi que mes deux soeurs, des jumelles de quatre ans mes aînées.

Ce jour-là, la directrice avait demandé aux élèves de quêter pour les prisonniers de guerre aux terrasses des cafés des Grands Boulevards – cela se faisait beaucoup à cette époque -.
Nous étions munies d’un tronc, que les gens remplissaient généreusement, et, en échange, nous épinglions un insigne sur leurs cols.

Nous étions tout un petit groupe portant l’étoile jaune : ma soeur Myriam qui, du haut de ses quatorze ans était la responsable, les deux filles Glassvand, nos voisines, encore quelques enfants dont j’ai oublié le nom, et moi.
En vertu des lois de Vichy, il nous était interdit de nous trouver dans la rue après huit heures du soir.
Mais à Paris, au printemps, il faisait encore jour à ce moment- là, et nous avons laissé passer l’heure.
Quand nous nous en sommes aperçues, nous nous sommes mises à courir vers le métro.

Soudain, un inspecteur en civil nous a hélées : « Alors, les petites Juives, où courez-vous comme ça ? »
Il nous a emmenées au commissariat de Montmartre, je crois.
Malgré nos pleurs, on ne nous a pas relâchées, et nous avons passé la nuit au dépôt, couchées sur des paillasses.
Nos pères devaient se présenter le lendemain matin pour nous récupérer.

Mon père, qui se cachait déjà, n’est pas venu.
M. Glassvand non plus, il était déjà interné.
Ce sont nos grandes soeurs qui ont pu nous faire sortir.
Les autres pères se sont présentés, ont été aussitôt arrêtés et envoyés dans des camps.

Nous sommes retournées à l’école, et peu à peu, nous avons commencé à oublier.
Le répit fut de courte durée.

Le 16 juin, des policiers français ont frappé à notre porte, ils ont arrêté ma mère et mon petit frère de trois ans.
Ils ont également arrêté Mme Glassvand.
Puis ils se sont rendus à l’école.
Ils nous ont fait monter, mes deux soeurs jumelles et moi, les filles Glassvand, d’autres enfants encore, dans un car de police, où j’ai retrouvé mon petit frère.

Ils nous ont conduits rue Lamarck, à cet asile de nuit qui allait devenir un centre pour enfants sans parents.
Il y avait là une doctoresse qui a donné des cachets à mon petit frère, parce qu’il pleurait sans cesse.
J’avais peur qu’elle veuille le faire mourir, j’ai compris plus tard qu’elle voulait seulement l’aider.

Ensuite, mes souvenirs se brouillent.
Je me rappelle seulement être allée deux ou trois fois rendre visite à ma mère, alors internée dans un centre à la Porte des Lilas.
Puis, elle fut transférée à Drancy, et déportée.
Je ne connais même pas le numéro du convoi.
Je sais juste que c’était un des premiers.
Je ne l’ai jamais revue.

Mon grand frère, après s’être évadé du camp de Beaune-la-Rolande, avait réussi à faire passer en zone libre mon père, ma soeur aînée et mon petit frère de trois ans.
Les jumelles et moi, nous sommes restées à Lamarck jusqu’en février 1943, où les Allemands sont venus, des listes de noms en main, arrêter plusieurs dizaines d’enfants.
Certains ont réussi à se cacher dans des placards.
Quant à nous, j’ignore comment nous avons échappé à la rafle, toujours est-il qu’ensuite nous avons été cachées chez diverses personnes.

Je me souviens seulement que nous avons passé quelques mois à Bullions par Bonnelles, dans la Nièvre je crois, chez un couple âgé.
Nous n’avions pour vêtements que ce que nous avions sur le dos, et nous marchions pieds nus, tenant à la main nos sandales pour éviter de les user.

Puis, je ne sais comment, nous sommes parvenues à entrer en contact avec notre grand frère qui est venu nous chercher.
J’ai été cachée seule, cette fois, en Savoie, chez des paysans qui m’ont gardée jusqu’à la libération.

Malka Keller
Décembre 1996 / Tevet 5757